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Kercht, le détroit de la discorde entre Moscou et Kiev

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Depuis dimanche 25 novembre 2018, nous assistons à une escalade des tensions sans précédent entre Ukrainiens et Russes, depuis les accords de Minsk II signés en février 2015. Au niveau du détroit de Kertch, entre la mer Noire et la mer d’Azov, trois navires militaires ukrainiens ont été capturés par la marine russe ainsi que les 24 marins à bord. Des tirs ont été échangés faisant six blessés côté ukrainien (1). C’est la deuxième fois en quelques semaines que Kertch fait la une de l’actualité, après la tuerie qui a eu lieu le 17 octobre dernier dans une école de la ville, faisant 21 morts et considéré comme le « Columbine russe ».

Alors que l’Ukraine dénonce une atteinte au droit international et à l’accord signé en 2003 par Vladimir Poutine et Leonid Koutchma sur le libre passage du détroit de Kertch, la Russie accuse pour sa part les navires ukrainiens de provocations et d’agressions dans ses eaux territoriales. Cet événement a eu pour conséquence la déclaration de la loi martiale en Ukraine dans les régions frontalières de la Russie, de la Crimée, de la Transnistrie et des côtes de la mer Noire. Si chacune des parties accuse l’autre d’avoir prémédité cet incident, force est de constater que dans le contexte international actuel, ni la Russie, ni l’Ukraine n’ont intérêt à une escalade des tensions.

Une crise utilisée à des fins de politique intérieure pour Moscou et Kiev ?

Carte de la zone du détroit de Kertch (Source AFP)

Les gouvernements russe et ukrainien ont tour à tour été soupçonnés de vouloir tirer parti de cet incident pour séduire les forces nationalistes intérieures. Pour Vladimir Poutine, il s’agirait de re-créer l’effet Crimée, à l’origine de sa forte popularité, mais en baisse depuis cet été, avec la réforme des retraites. En Ukraine, certains pensent que le président Petro Porochenko serait en difficulté pour les élections d’avril 2019. Il y aurait donc une tentation chez le président ukrainien de profiter de la loi martiale pour écraser toute opposition. Cependant, la loi martiale votée par la Rada ne sera imposée que pour une durée, renouvelable de trente jours, et non de soixante jours comme envisagé au départ (2). Elle n’aura donc a priori aucune conséquence sur l’élection au printemps prochain.

Un contexte international défavorable à l’escalade des tensions entre les deux États.

Si cet événement peut galvaniser un certain nationalisme intérieur en Russie et en Ukraine, le contexte international ne semble en revanche pas être favorable aux deux États. En effet, si l’Ukraine a bien été soutenue par ses alliés américains, la France et l’Allemagne n’ont pas condamné l’attitude russe et n’ont donc pas soutenu explicitement Kiev dans cette affaire. Paris et Berlin semblent de moins en moins prêts à remettre en cause leurs relations avec la Russie au nom de la défense des intérêts ukrainiens. Une fragilité pour Kiev, puisque la France et l’Allemagne sont les principaux intermédiaires du conflit dans l’Est de l’Ukraine depuis les négociations de Minsk et la mise en place du format Normandie (France, Allemagne, Russie et Ukraine).

Carte des régions affectées par la loi martiale décrétée en Ukraine.

De son côté, Moscou n’a pas non plus intérêt à froisser ses partenaires européens, dans la perspective d’une levée des sanctions, dont la question est repoussée de fait par cet incident. Le second enjeu est la question de la mise en service, d’ici fin 2019, du gazoduc Nord Stream 2. Une installation qui permettra à la Russie d’envoyer du gaz à l’Allemagne par la mer Baltique, sans passer par les gazoducs ukrainiens (3). Si l’Allemagne et la France sont favorables à ce projet, beaucoup d’États s’y opposent, à commencer par l’Ukraine et les États-Unis, mais également d’autres États européens comme la Pologne. Si pour le moment l’Allemagne souhaite toujours utiliser ce gazoduc, une nouvelle crise majeure entre la Russie et l’Ukraine pourrait la dissuader. C’est probablement pour cette raison que Vladimir Poutine a appelé Angela Merkel, à la suite des événements du 25 novembre, pour lui faire part de son inquiétude vis-à-vis des autorités ukrainiennes et pour la rassurer sur les intentions russes.

Ainsi, le contexte international actuel devrait dissuader les deux États d’une quelconque escalade vers un nouveau conflit majeur où même vers la ré-activation des hostilités dans les territoires contrôlés par les séparatistes ukrainiens pro-russes. Le statu quo devrait donc prévaloir jusqu’aux élections présidentielles ukrainiennes, des élections qui pourraient en revanche modifier la donne selon leur résultat.

Sources :

(1) https://www.huffingtonpost.fr/2018/11/26/entre-lukraine-et-la-russie-le-detroit-de-kertch-au-coeur-des-tensions_a_23601116
(2) https://www.lemonde.fr/international/article/2018/11/26/ukraine-le-parlement-vote-l-introduction-de-la-loi-martiale_5388995_3210.html
(3) https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/0600102502560-nord-stream-2-le-gazoduc-de-la-discorde-2220559.php

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Fabien HERBERT

Fabien Herbert est Président des Yeux Du Monde et rédacteur géopolitique pour l'association depuis mars 2016. Formé à l’Université Catholique de Louvain, Fabien Herbert est journaliste et analyste spécialisé en relations internationales. Il s’intéresse notamment au monde russophone, au Moyen-Orient et à l'Asie du Nord-Est.

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